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Quand on parle de dérèglement climatique, tout le monde pense aux forêts qui brûlent ou aux glaciers qui fondent. Mais sous vos pieds, silencieusement, il se joue une autre histoire. Une histoire de tunnels, de minuscules mandibules, de pelotes de terre. Et surtout, une histoire de carbone que le sol garde précieusement, avec l’aide discrète des animaux qui y vivent.
On cite souvent les forêts tropicales ou les océans comme grands puits de carbone. Pourtant, les scientifiques rappellent que les sols stockent plus de carbone que l’atmosphère et la végétation réunies. Oui, sous la surface, il y a une sorte de coffre-fort planétaire.
Dans ce coffre-fort, on trouve du carbone sous forme de matière organique : racines mortes, feuilles tombées, déjections animales, micro-organismes. Tout cela se mélange avec les minéraux du sol. Plus ce mélange reste longtemps enfoui, plus le carbone est gardé loin de l’air, donc du CO₂.
Et devinez qui aide à enfouir tout cela en profondeur ? Des armées d’animaux que l’on remarque à peine.
Les animaux du sol ne se contentent pas d’y habiter. Ils le transforment en permanence. Les scientifiques parlent souvent “d’ingénieurs de l’écosystème”. Cela peut sembler un peu grandiloquent pour un ver de terre, mais en réalité, il le mérite largement.
Les vers de terre avalent la terre en surface, mélangent les débris de feuilles avec les particules minérales, puis rejettent tout cela sous forme de petites boulettes stables. En creusant, ils tirent aussi vers le bas des fragments de plantes. Résultat : la matière organique descend, le carbone s’enfonce.
Les insectes du sol – fourmis, termites, coléoptères – creusent eux aussi de nombreuses galeries. Ils transportent des graines, des morceaux de bois, des cadavres d’insectes. Tout ce qui est déplacé et enfoui échappe un temps à la décomposition rapide de surface.
Les rongeurs fouisseurs, comme les campagnols ou les mulots, creusent de longs réseaux souterrains. En stockant parfois de la nourriture dans leurs terriers ou en remodelant les horizons du sol, ils contribuent, eux aussi, au mouvement du carbone de la surface vers le profond.
Quand un animal de sol creuse une galerie, il ne crée pas qu’un tunnel. Il modifie l’aération, l’humidité, la structure des particules. Tout cela change la vitesse à laquelle le carbone se décompose et quitte le sol sous forme de CO₂.
En général, plus la matière organique est enfouie en profondeur, plus sa décomposition est lente. La température est plus stable, l’oxygène parfois moins disponible, les microbes moins actifs. Le carbone y est un peu comme au frais dans une cave, protégé.
De plus, quand la matière organique est bien mélangée avec les minéraux du sol, elle peut se coller à de très petites particules d’argile. Ces assemblages, très fins, sont difficiles à attaquer pour les micro-organismes. C’est là que les vers de terre jouent un rôle clé. En brassant la terre, ils participent à la formation de ces agrégats stables qui retiennent le carbone pour des années, voire des siècles.
On parle beaucoup de planter des arbres pour absorber du CO₂. Mais protéger les sols vivants est tout aussi stratégique. Un sol riche en vers, en insectes et en micro-organismes peut stocker davantage de carbone qu’un sol compacté, nu ou dégradé.
À l’inverse, quand on laboure profondément et souvent, qu’on laisse le sol nu, qu’on utilise trop de produits chimiques, on casse les galeries, on détruit les habitats, on réduit la biodiversité souterraine. Le sol perd de la matière organique, s’érode plus vite, et du CO₂ repart vers l’atmosphère.
Le paradoxe est fort. Sous terre, les animaux rendent un immense service au climat. Pourtant, on les malmène sans même y penser, simplement en gérant mal les terres agricoles, les forêts ou les zones urbaines.
Il n’est pas nécessaire de voir les vers ou les insectes pour les aider. Il suffit souvent de modifier quelques pratiques clés. Plusieurs pistes existent déjà dans l’agriculture, l’urbanisme, mais aussi dans les jardins particuliers.
Dans un simple jardin, par exemple, le fait de ne plus retourner tout le potager chaque année, de couvrir le sol avec du paillis et de limiter les produits chimiques suffit à voir revenir, en quelques saisons, une vie souterraine plus abondante.
Le dérèglement climatique ne se joue pas uniquement dans les nuages ou sur les cimes des arbres. Il se joue aussi, très concrètement, dans les vingt ou trente premiers centimètres de terre. Là où se croisent racines, vers, insectes et rongeurs.
En comprenant que le sol représente la première réserve de carbone au monde, et que cette réserve dépend étroitement des animaux qui l’habitent, notre regard change. Protéger les forêts, oui. Préserver les océans, bien sûr. Mais considérer les sols comme un allié majeur devient tout aussi urgent.
La prochaine fois que vous verrez une simple poignée de terre humide, prenez une seconde pour imaginer ce qui s’y passe. Des milliers de petits êtres y travaillent, en silence, à retenir du carbone qui, sinon, alimenterait encore un peu plus le réchauffement. Les ignorer serait une erreur. Les protéger pourrait devenir l’une des clés d’un climat plus stable.