Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Et si, derrière chaque belle assiette servie dans un grand restaurant, se cachait surtout le combat silencieux d’un agriculteur en difficulté ? Quand Glenn Viel, Jacques Marcon ou Marc Veyrat prennent la parole pour les défendre, ce n’est pas un simple geste symbolique. C’est un cri d’alarme. Et, au fond, cela nous concerne tous, vous, moi, chaque personne qui mange français.
Voir de grands chefs, connus et reconnus, s’engager publiquement, ce n’est pas si fréquent. S’ils le font aujourd’hui, c’est qu’ils sentent que quelque chose se casse dans le monde agricole. Et, avec lui, une partie de notre identité culinaire.
Glenn Viel, Jacques Marcon, Marc Veyrat… ces noms sont associés à des tables prestigieuses, à des étoiles Michelin, à l’excellence de la cuisine française. Pourtant, ce qu’ils défendent avant tout, ce n’est pas leur image. C’est la survie de ceux qui leur fournissent le lait, la viande, les légumes, les fromages. Sans ces producteurs, leur cuisine s’effondre.
Ils se placent clairement aux côtés des agriculteurs mobilisés contre deux sujets qui les inquiètent profondément : la politique d’abattage en cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) et l’accord de libre-échange avec le Mercosur.
La dermatose nodulaire contagieuse, ou DNC, est une maladie qui touche les bovins. Elle provoque des nodules sur la peau et inquiète les autorités sanitaires. Pour limiter les risques, la réponse choisie est souvent radicale : abattre des troupeaux entiers.
Pour un éleveur, voir plusieurs années de travail partir en fumée en quelques jours, c’est un choc. Plus qu’une perte économique. C’est une rupture morale, presque intime, avec des animaux dont il s’occupe au quotidien.
Les chefs comprennent ce traumatisme. Ils ne contestent pas la nécessité de protéger la santé publique. Mais ils posent une question simple : existe-t-il d’autres solutions pour concilier sanité, bien-être animal et survie des fermes ? Aujourd’hui, de nombreux agriculteurs ont le sentiment de subir, sans être vraiment écoutés.
Deuxième sujet de colère : l’accord de libre-échange avec le Mercosur
Le principe ? Faciliter les échanges entre l’Union européenne et plusieurs pays d’Amérique du Sud. Plus de viandes importées, plus de produits agricoles venus de loin, souvent à des prix très bas. Sur le papier, cela peut sembler intéressant pour le consommateur. En pratique, cela met une pression énorme sur les agriculteurs français.
Comment un éleveur qui respecte des normes strictes sur l’environnement, le bien-être animal ou les traitements sanitaires peut-il s’aligner sur des produits importés moins chers, issus de systèmes parfois beaucoup moins exigeants ? C’est cette concurrence jugée déloyale que dénoncent agriculteurs et chefs.
Marc Veyrat le dit avec émotion : il vient lui-même d’une famille de paysans. Pour lui, l’agriculture française n’est pas un secteur comme un autre. C’est un pilier. Un des derniers domaines où la France brille encore dans le monde par sa qualité, sa diversité, son exigence.
Jacques Marcon, lui, parle d’une agriculture “cassée sur l’autel du libéralisme”. Selon lui, on privilégie les prix bas, les volumes, les exportations, au détriment de trois éléments essentiels : la santé, l’environnement et la souveraineté alimentaire. Autrement dit, notre capacité à nourrir notre population avec nos propres ressources, dans de bonnes conditions.
Glenn Viel, de son côté, rappelle un paradoxe que vous ressentez peut-être aussi : quasiment tout le monde souhaite manger une viande de qualité, élevée correctement, dans le respect des animaux et de la planète. Mais tout le monde n’a pas les moyens financiers de payer plus. Entre la fin du mois, le panier de courses et les factures, beaucoup de familles doivent faire des choix difficiles.
Les mots utilisés par les chefs sont forts, mais ils décrivent une réalité bien connue sur le terrain. Les agriculteurs travaillent souvent du lever au coucher du soleil, week-ends compris. Ils gèrent le climat, les maladies, les charges, l’administratif, la solitude parfois. Et, malgré cet engagement total, beaucoup gagnent très peu.
Conséquence : découragement, manque de repreneurs, fermeture de fermes familiales. Chaque fois qu’une exploitation disparaît, ce n’est pas seulement une entreprise qui ferme. Ce sont des paysages qui changent, des savoir-faire qui s’éteignent, un morceau de patrimoine culinaire qui se perd.
Quand Glenn Viel dit que les agriculteurs ne sont “pas vraiment entendus” alors que “la France a besoin d’eux”, il remet les choses au centre : avant les chefs, avant les restaurants, il y a celles et ceux qui produisent. Sans eux, les grandes tables ne sont que des salles vides.
Face à ces débats, vous pouvez avoir l’impression de ne pas avoir de prise. Pourtant, certains gestes du quotidien envoient des signaux forts.
Bien sûr, tout le monde n’a pas le même budget ni le même accès à ces circuits. C’est pour cela que les chefs appellent aussi à des choix politiques clairs : soutenir ceux qui produisent bien, simplifier les règles, mieux rémunérer la qualité, revoir certains accords commerciaux.
Ce soutien public des grands chefs aux agriculteurs n’est pas une mode. C’est une manière de rappeler que la gastronomie française n’est pas seulement une affaire d’assiettes élégantes et de salles raffinées. Elle commence dans les champs, les étables, les vergers, les vignobles.
Si ces figures de la haute cuisine acceptent de prendre parti, de manifester, de parler de colère et de désarroi, c’est qu’elles sentent que nous sommes à un moment charnière. Soit nous protégeons ceux qui nourrissent le pays. Soit nous les laissons s’épuiser, au risque de dépendre de plus en plus des importations et de perdre notre âme culinaire.
Au fond, derrière ce message des chefs, il y a une idée simple : défendre les agriculteurs, ce n’est pas défendre une corporation. C’est défendre notre santé, notre environnement, notre économie locale et le plaisir de bien manger. Et, comme ils le disent si clairement, la France a vraiment besoin d’eux.